Le site de Saint-Just de Valcabrère (2017-2024)
Les opérations archéologiques menées depuis 2016 à Saint-Bertrand-de-Comminges fournissent des questionnements nouveaux sur les nécropoles et les manières de présenter les morts dans une ville de l’Antiquité tardive, à une époque de profonds bouleversements de la morphologie urbaine. L'évolution de ce pôle de peuplement et ses réoccupations successives interrogent également le contexte d'installation de la basilique Saint-Just autour de l'An Mil.
Alors que la documentation textuelle n’aborde jamais vraiment le sujet, la fouille de la nécropole monumentale de Saint-Just de Valcabrère, installée vers 300 apr. J.‑C. à 500 mètres des limites de la ville, fournit un dossier inédit et relativement complet sur les modalités d’organisation d’une nécropole d’un type nouveau. Celle-ci est fondée non plus le long des routes d’accès à la ville qui permettait d’exposer la mémoire civique des communautés du Haut-Empire, mais sur un terrain privé à l’écart de l’espace urbain, en l’occurrence dans les décombres abandonnés d’un grand complexe pour l’instant difficile à identifier (villa, grenier, autre chose ?).
La nécropole de Saint-Just de Valcabrère, fouillée entre 2017 et 2024, permet de rouvrir le dossier des mutations profondes du IVème siècle qui ont aussi touché le monde des morts et qui renvoie sans aucun doute à l’évolution même de la société des vivants et de la ville de Lugdunum devenue Convenae dès la deuxième moitié du IIIème siècle apr. J.‑C.
Une nécropole monumentale atypique installée sur le site de Saint-Just
Vers 300 apr. J.-C., alors que la ville devient Convenae, on voit apparaître une nécropole suburbaine d’un type nouveau, établie selon des critères spécifiques. Ceux-ci ne respectent plus la topographie des tombeaux du Haut-Empire qui était organisée par un axe viaire, nécessaire parce que la mort, à l’époque romaine, devait s’exposer sur le domaine public. On voit alors une communauté supra-familiale (on reconnaît sur le secteur fouillé au moins six mausolées, peut-être sept) investir une parcelle occupée par des grands bâtiments en ruine.
Le nouveau cimetière est planifié autour d’un très grand mausolée central K à chambre hypogée, édifié par un grand dignitaire de la ville tardive, comme l’indique la monumentalité de l’édifice et l’emploi en parement interne d’un grand appareil en marbre blanc. Le sol de la crypte, qui avoisine les 90 mètres carrés, était recouvert d’une soixantaine de grands blocs de marbre blancs.
Tous ont été prélevés au XIème siècle lors de la construction de l’église romane, de même que les sarcophages déposés à l’intérieur. On note également la présence d’une superstructure au-dessus de la crypte, qui pouvait accueillir d’autres tombes ou autre chose à l’origine, avant une possible transformation postérieure au IVème siècle qui nous échappe compte tenu du démantèlement complet de l’édifice après l’An Mil.
Signe des temps nouveaux, à Saint-Just, le nouveau cimetière accueille un certain nombre de sépultures de périnatals, c’est-à-dire d’individus morts autour de la naissance, en lisière des mausolées, parfois dans un secteur réservé.
Les individus périnatals sont ainsi désormais intégrés dans la mémoire familiale, alors qu'ils étaient jusque-là et la plupart du temps écartés des tombeaux familiaux.
Une autre caractéristique est que les tombes sont installées très profondément en vertu de l’inviolabilité des sépultures déclarée par le droit romain.
L’extrême homogénéité du cimetière du IVème siècle et son organisation autour d’un mausolée beaucoup plus grand que les autres semble renvoyer au leader de la communauté et au fondateur même de la nécropole.
Un cimetière chrétien du IVème siècle à Saint-Just ?
Dernier élément et non des moindres : c’est dans le champ funéraire de Saint-Just qu’apparaissent dès l’époque constantinienne les témoignages de sépultures et tombeaux chrétiens.
Outre plusieurs inscriptions, dont une datée de 347, on trouve une dizaine de fragments de sarcophages en marbre blanc historiés du IVème siècle remployés dans l’église romane et dans les sépultures médiévales.
Ils montrent des scènes aussi diverses que la vie de saint Paul, l’histoire de Jonas, le Bon Pasteur, le baptême du Christ ou Adam et Êve. La richesse du répertoire témoigne sans aucun doute de la présence au moins dès l’époque Constantinienne d’une communauté importante et d’origine élitaire de convertis au christianisme.
Ces sarcophages sont plus nombreux encore comme en témoigne la vingtaine de fragments retrouvés pour beaucoup dans le comblement du grand mausolée K, dans lesquels on reconnaît notamment Daniel dans la fosse aux lions ou le passage de la Mer Rouge. L’emplacement de beaucoup de ces fragments dans le comblement inférieur de la crypte du mausolée K désigne bien le cimetière de Saint-Just comme la provenance exclusive de tous ces sarcophages historiés. Leur nombre est un sûr indice de l’importance de la communauté chrétienne de Convenae au IVème siècle, la monumentalité du mausolée K indiquant que le leader de la communauté en question était un très grand personnage dont le nom n’a hélas pas été transmis par les sources textuelles.
La reconnaissance d’un cimetière communautaire chrétien et d’un groupe élitaire assez nombreux de convertis montre sans doute que l’impact du christianisme sur les changements de la cité au IVème siècle a été sous-estimé. Certes, les chrétiens de Saint-Bertrand n’avaient pas encore, autant qu’on puisse le dire, de lieu de culte public et officiel comme à Rome, mais ils regroupaient leurs morts en un lieu. La naissance de nouvelles pratiques indique également que l’identité communautaire faisait son chemin et cela très tôt, dès après la crise du IIIème siècle.
Le dossier de Saint-Just souligne que l’archéologie permet de reprendre un débat historiographique mal fondé sur des sources écrites ambigües et surtout insuffisantes pour permettre d’établir l’existence de nécropoles chrétiennes avant le Vème siècle.
La nécropole du haut Moyen Âge : une aire funéraire collective dans la continuité du cimetière du IVème siècle
Des indices de récupération des matériaux relevés dans les mausolées B et D à la première moitié du Vème siècle témoignent certainement de l’abandon de ces tombeaux.
On peut penser que ces récupérations ont été commanditées dans le cadre de la recherche de sarcophages pour les nouveaux dignitaires ou de matériaux pour la construction de la ville haute qui se développe au même moment. En tout cas, cette première moitié du Vème siècle, semble correspondre à une période de moindre occupation.
La phase funéraire suivante intervient dans la seconde moitié du Vème siècle et surtout au VIème siècle. Ces périodes n'étant pas représentées dans l’espace urbain, il est vraisemblable que l’on continue d’inhumer des membres de la communauté urbaine dans le cimetière de Saint-Just. La topographie des sépultures de cette époque montre une continuité avec le cimetière du IVème siècle : aucune tombe n’est installée devant le mausolée G et dans le secteur nord-ouest alors que la zone est occupée densément par les tombes disposées en rangées du IVème siècle. Le marquage de celles-ci devait donc encore être visible et les défunts partiellement identifiés.
La nécropole se développe par conséquent dans des secteurs non occupés : devant et au sud du mausolée A, notamment à l’emplacement du bâtiment F et devant les mausolées B et D où il n'y a pas de sépultures du IVème siècle. De manière générale, la nécropole se déplace vers le sud et abandonne le nord de la parcelle.
Évolution de l’organisation spatiale de la nécropole
Plusieurs changements importants interviennent toutefois et montrent que le rapport à la mort n’est plus le même :
- La profondeur des sépultures est moindre ; on ne creuse plus de fosses profondes pour les inhumations, au contraire, on recherche l’accessibilité des dépouilles de manière à pouvoir installer éventuellement plusieurs sépultures dans la même tombe.
- L’organisation des sépultures ne semble plus conditionnée par la présence des mausolées : il y a là un indice qui montre que le cimetière n’est plus organisé par les familles comme auparavant.
- Les sépultures investissent les zones interstitielles entre les mausolées. On remarque également que les sépultures ne se développent plus en rangées parallèles, mais en noyaux.
Toutes ces observations traduisent l’avènement d’une nécropole communautaire chrétienne et une rupture définitive avec l’ancien temps, marquée par la fin d’une organisation familiale de la mort : on repose à partir de 450 apr. J.‑C. dans des cimetières communautaires.
Le devenir du mausolée K
Le devenir du grand mausolée K, attribué au leader du groupe fondateur de la nécropole, est encore incertain, même si certaines sépultures et des fosses à sarcophage laissent présager le développement d’un ensemble funéraire du haut Moyen Âge en lisière sud du monument.
À l’intérieur du mausolée, le seul témoignage de cette époque est la présence de fragments de sarcophages de l’école d’Aquitaine dans le comblement du mausolée K, qui pourrait montrer que l’on continue d’utiliser le monument comme tombeau aux Vème et VIème siècle.
Continue-t-on cependant d’utiliser le même tombeau familial ou celui-ci est-il transformé en oratoire, dont les 11 chapiteaux du haut Moyen Âge remployés dans l’église romane seraient un témoignage ? Dans ce dernier cas, on attendrait toutefois un phénomène d’agglutinement des sépultures autour du bâtiment qui reste encore à déterminer.
Quoi qu’il en soit, une église contemporaine de cette phase funéraire qui ne semble pas plus polarisée par le monument K n’est pas pour l’instant identifiée. L’élément polarisant semble plutôt être l’ancestralité d’une nécropole dont attestent les ruines des mausolées et le monument K.
Évolution des pratiques funéraires
On note, comme auparavant, l’absence de mobilier dans les sépultures, à l’exception de dépôts monétaires et d’un couteau déposé dans la sépulture d’un enfant.
Le plus souvent, le défunt est inhumé dans un cercueil dont on conserve les clous ayant fixé les planches ou encore dans une fosse fermée par une simple couverture périssable.
Hiatus au VIIème siècle
Pour une raison qui nous échappe, le VIIème siècle ne semble pas encore représenté sur le site de Saint-Just. On est peut-être là tributaires des éléments sélectionnés pour les datations 14C, puisque tous les individus ne peuvent faire l'objet de telles analyses.
On pourrait également penser que le cimetière accueillait jusqu'ici des membres de la communauté urbaine et que ce processus s’interrompt avec le développement d’un cimetière autour de la basilique du Plan. Ce phénomène signerait alors l’entrée des morts dans la ville.
Si ce hiatus exprime une réalité, il donne sens à un glissement du pôle funéraire avéré à partir du VIIIème siècle.
Cimetière carolingien (VIIIème-Xème siècles)
L'occupation funéraire reprend sur le site de Saint-Just dès le VIIIème siècle et jusqu'au Xème. Cette reprise est caractérisée par :
un changement d’orientation des sépultures, qui sont alors majoritairement aménagées selon un axe nord-sud ;
le report radical de la zone funéraire vers le nord, l’essentiel des sépultures provenant du secteur L.
Or, à 80 mètres à peine au nord du secteur L, l’image radar a révélé un grand bâtiment à abside qui pourrait correspondre à une église. N’aurait-t-on pas là l’explication du glissement décisif de la nécropole vers le nord, à une époque où l’on sait que les autorités ecclésiastiques ont créé les premiers cimetières organisés et les premiers clergés ruraux ?
Cela expliquerait que l’occupation de cette période soit relativement diffuse sur le secteur fouillé, excepté le regroupement des sépultures du secteur L.
Un habitat ecclésial du XIème siècle à Saint-Just
Autour de l’An Mil, un changement radical dans l’occupation est perçu lorsque disparaît toute activité funéraire au profit d’indices d’occupations domestiques et artisanales. La présence d’un habitat autour de l’An Mil est proposée par la datation de plusieurs silos, grâce à la présence d’une monnaie en contexte ainsi que l'analyse radiocarbone 14C d'un ossement de foetus déposé dans la structure.
Le numéraire indique deux choses :
D’une part, la répartition des monnaies médiévales, presque toutes découvertes dans les comblements du mausolée K, confirme le glissement de l’occupation vers l’église romane et le cimetière actuel, intervenu au XIème siècle.
D’autre part, la présence de 22 monnaies datant du XIème au XVème siècle montre des activités monétarisées sur le site. Celles-ci suggèrent la présence d'un habitat groupé, doté de certains privilèges, dont peut-être la tenue régulière de marchés. Les premières monnaies, émises entre 1037 et 1138, correspondent à la fondation de l’église et des habitations l’entourant.
Des anneaux de cotte de maille et le fragment d’une corne d’appel en céramique témoignent également d’une présence élitaire. Le reste du mobilier (couteaux, poinçon, briquets, fer d’équidés, etc.) atteste d’activités domestiques ou artisanales déployées autour de l’église romane.
Un nouveau champ funéraire
Le glissement très significatif de l’espace dévolu aux sépultures indique l’installation au même moment d’un cimetière au nord de l’église romane, dont la limite est donnée par l’ancienne façade est du mausolée K. Les caractéristiques de ce nouveau champ funéraire sont celles d’une terre de cimetière avec l’étagement des sépultures les unes sur les autres, comme on l'observe entre les deux piliers méridionaux du mausolée K.
Ces sépultures sont en pleine terre et ne semblent pas avoir le même statut que les tombes maçonnées de la même époque, découvertes immédiatement entre le chevet et le portail de l’église, qui étaient construites en grande partie à l’aide de matériaux de remploi.
Vers un habitat ecclésial de la seconde moitié du XIè siècle
On retient de ces éléments un changement majeur intervenu dans le courant ou dans la deuxième partie du XIème siècle. Avant cette période, il existait peut-être quelques habitats de cultivateurs installés près des sépultures de la nécropole, mais les recoupements des structures comme le mobilier sont trop peu nombreux pour parler de véritable habitat groupé, encore moins de village.
Le glissement radical du cimetière au XIème siècle, le démantèlement du grand mausolée K et la construction de l’église romane traduisent un changement majeur suscité par un pouvoir et une décision politiques.
La présence de l’évêque Bertrand à Saint-Just et l’éloignement significatif des tours médiévales de Valcabrère et de Barsous, datant de la même époque, militent ainsi pour l’identification d’un habitat ecclésial installé dans la seconde moitié du XIème siècle. On peut se demander si sa fondation ne résulte pas de la nomination épiscopale de Bertrand.
Partage topographique et abandon de l’habitat ecclésial de Saint-Just
Nous comprenons les transformations archéologiques du XIème siècle comme le marqueur d’un changement politique, documenté par ailleurs et expliqué par une forte croissance démographique. L’habitat se regroupe, les terroirs se multiplient alors que les pouvoirs féodaux se mettent en place. On peut ainsi penser que, comme ailleurs, en Gascogne, Rouergue ou Catalogne, le réseau ecclésial s’organise face aux châteaux sur motte aux XIème et XIIème siècles.
Les châteaux font en effet leur apparition sur des points dominant de la plaine alluviale au même moment. C’est du moins la date que l’on peut attribuer d’une part au donjon de Castel Bert à Valcabrère et d’autre part à la tour de Barsous perchée sur le Mail de Martrou.
La seconde moitié du XIème siècle est donc marquée par une restructuration de l’habitat, les sites étant disposés à 700 mètres les uns des autres dans un juste partage topographique des pouvoirs sur le riche terroir de la plaine alluviale.
Cet équilibre ne semble pas avoir eu une longue postérité comme semble l’indiquer l’abandon d’une part de la tour de Barsous, d’autre part de l’habitat groupé de Saint-Just.
À Saint-Just, la date d’abandon des silos et le recoupement des « fonds de cabanes » par des fosses d’équarrissage indiquent le XIIème siècle. À cette époque, l’habitat se serait alors réduit à l’église et à son cimetière, Saint-Just étant alors victime d’un déplacement lié au regroupement villageois de Valcabrère, d’initiative seigneuriale ?
Le succès du village castral de Valcabrère est vraisemblablement lié au statut vicomtal du château de Castel Bert et au contrôle de la route principale et du pont romain permettant de traverser la Garonne à Labroquère, appelé d’ailleurs « pont de Saint-Just ».
Saint-Just de Valcabrère
Une église romane construite avec des remplois...
L’église Saint-Just de Valcabrère se dresse à quelque distance de la zone fouillée. L’édifice roman bien connu se distingue par les spécificités de sa mise en œuvre : un examen des maçonneries permet d’y observer une impressionnante quantité de remplois. Omniprésents au chevet, ils se raréfient à mesure que l’on s’avance vers la façade.
À quoi correspondent ces remplois ? D’où viennent-ils ? Quand ont-ils été réutilisés ? Le lot remployé semble hétérogène, il associe des éléments antiques à des très nombreux remplois de sarcophages, parfois ornés (scènes chrétiennes, décor géométrique...).
Les cuves ont été découpées pour être utilisées au niveau des parements. Les couvercles sont utilisés dans les fondations ou bien encore pour former les corniches. À l’intérieur, des chapiteaux du haut Moyen Âge complètent la liste des remplois.
Le lot semble avoir été rassemblé au début du chantier de construction. À mesure que le chantier progressait, ces éléments se raréfiant, ils auraient été remplacés par d’autres pierres, les blocs antiques étant toutefois préservés pour la construction des éléments structurants (contreforts, piliers…).
… provenant du mausolée K ?
Plusieurs indices tendent toutefois à prouver que certains de ces remplois avaient déjà été remployés. Le lot est-il alors si hétérogène qu’il y paraît ? Ces pièces ne pourraient-elles pas provenir d’un monument incluant lui-même des remplois, un monument dont la fonction funéraire pourrait justifier qu’il abritait de nombreux sarcophages
Si cette hypothèse se vérifiait, ce monument spolié pour la construction de Saint-Just pourrait être le grand mausolée K, lui-même construit avec des remplois et démantelé dans la seconde moitié du XIème siècle.
Les chapiteaux du haut Moyen Âge ont toutefois une autre provenance. Ils amènent à s’interroger sur l’origine de l’église : mentionnée pour la première fois dans les textes à partir de 1130, l’église paraît remonter pour l’essentiel au XIème siècle (à l’exception du portail historié, ajouté vers 1200).
Des vestiges de maçonneries plus anciennes pourraient suggérer la préexistence d'un premier lieu de culte : les chapiteaux pourraient-ils en provenir ? Encore une enquête en cours sur un monument dont la genèse se précise peu à peu !